« Tout récit, comme toute chose, doit avoir un commencement. L’origine, pourtant, demeure le plus souvent inassignable, perdue dans le temps et l’oubli. Alors on invente, pour combler les blancs et feindre qu’ils n’existent pas. Ainsi disons que cette aventure débute un jour précis : celui où j’apprends que depuis deux mille ans des érudits tentent de situer les lieux de l’Odyssée. Au tournant du XXème siècle, Victor Bérard est le grand prêtre de cette quasi-religion.
(Textes de Michaël Duperrin extraits de Odysseus l’Autre monde, editions sun/sun)
(…) Selon Bérard, Homère était en relation avec des marins phéniciens qui lui ont enseigné leurs routes maritimes, et l’Odyssée doit être lue comme un manuel d’instructions nautiques. (…) Il s’embarque ainsi pour deux longs voyages avec la louable intention de soumettre sa thèse à l’épreuve de la réalité. Dans les faits, il paraît surtout chercher à la vérifier, faisant comme s’il n’y avait pas d’écart entre le poème et le monde, comme si rien ou presque n’avait changé en trente siècles, supposant des altérations tardives du texte lorsque ce qu’il voit ne correspond pas, tordant les mots pour les faire s’accorder à ses désirs.
(…) M’embarquant à mon tour dans le sillage d’Ulysse, je rejoins Bérard, Pausanias, Strabon, Cuisenier et tant d’autres dans l’exploration de la géographie odysséenne. Me voici à mon tour l’officiant d’un cérémonial auquel je ne crois pas. Je me prête au jeu le plus sérieusement possible, comme un enfant avec ses poupées ou ses petits soldats. (…) Je rêve qu’Ulysse m’accompagne sur ses propres traces et que le voyage charrie les presque trois mille ans et l’espace du mythe qui nous séparent. Fiction de fiction dans laquelle j’espère découvrir quelque vérité. »